Les entreprises doivent apprendre la transformation «permanente»

Les entreprises et leurs collaborateurs sont confrontés à un bouleversement du monde du travail sous l’effet de la mondialisation, une pression concurrentielle forte, des marchés devenus inconstants et de l’omniprésence des technologies numériques[1]. Le seul effet de la digitalisation entraîne, pour les organisations, des changements de paradigme dans leurs modes de fonctionnement et leurs modes de production de valeurs[2].

Pour évoluer avec fluidité et flexibilité dans ce mode actuel, les entreprises mettent notamment le cap sur l’Intelligence Artificielle (IA), de nouvelles démarches et méthodes de travail (p. ex l’agilité), de nouveaux usages des espaces de travail (co-working), mais également des innovations managériales[3].

Dans cette mutation, les entreprises doivent redéfinir la place et le rôle de l’Humain. Parmi les chantiers les plus courants : automatisation des tâches, dématérialisation, recherche d’horizontalité, transformation des processus opérationnels (en priorité ceux liés à la relation client) et un changement des modèles d’affaires[4].

Ceci étant posé, nous constatons que les transformations reposent surtout sur la mise en œuvre de plans de progrès, sur les compétences techniques ou sur les « outils ». Elles ne s’appuient pas suffisamment sur le changement culturel de l’organisation.

En effet, nous observons que pour répondre aux nouveaux enjeux techniques, économiques et humains, il est nécessaire de créer un cercle vertueux bénéficiant à tout l’écosystème (clients, fournisseurs, partenaires), doté d’un sens éthique et durable, tout en accompagnant l’individu, les équipes et l’organisation. Autrement dit, le rôle d’une organisation est de permettre l’apparition d’un « environnement capacitant » qui permet aux collaborateurs de développer de nouvelles compétences, connaissances et savoirs ainsi que d’élargir leurs marges de manœuvre, d’action et le degré de contrôle sur leurs activités et sur la manière dont ils les réalisent[5].

Transformer durablement en adoptant la philosophie de l’Intelligence Collective

Qu’est-ce que l’Intelligence Collective (IC) ? C’est l’ensemble des capacités de compréhension, de réflexion, d’action et de décision à la disposition d’une équipe en interagissant et en produisant collectivement. Tout cela est exprimé à un potentiel maximisé dans le but de réaliser une multitude de tâches. L’IC est à la fois une philosophie et une approche méthodologique. Par « philosophie », nous entendons son second sens, qui équivaut aux termes de doctrine ou d’idéologie.

S’inspirer de la philosophie de l’Intelligence Collective revient à partir du postulat que la performance durable d’une entreprise passe par la co-construction collective des activités réelles. Cet axiome n’a pas vocation à évoluer dans le temps, mais à faire évoluer les croyances, habitudes et façon de faire (la culture de l’entreprise et les états d’esprit individuels). Sa mise en place sur la durée est un levier pour libérer la créativité, générer de l’engagement et accroître les performances, répondant ainsi aux enjeux de la transformation des organisations.

Faire évoluer le capital humain – les trois modèles de groupes

Dans un environnement caractérisé par la volatilité, l’incertitude, la complexité et l’ambiguïté (VICA[6]), si nous misons sur l’IC, nous réduisons le risque que les organisations échouent leurs transformations.

Le capital humain[7] doit évoluer en faisant émerger l’IC, c’est-à-dire qu’il doit apprendre à travailler ensemble autrement.

Lorsqu’un groupe se forme, il répond à une réalité propre ne pouvant être réduite à la somme des individus qui le composent : les individus du groupe forment un système d’interdépendance. Les recherches en Science Humaines et Sociales (SHS) évoquent trois modèles expliquant du pourquoi et comment les individus forment un groupe :

  • Le modèle utilitaire : permet de répondre plus facilement à certains de nos besoins, le groupe se forme pour satisfaire des besoins sociaux des individus par exemple ;
  • Le modèle de la cohésion sociale : permet de nous réunir avec les individus que l’on apprécie, un groupe se forme selon le phénomène de l’attraction interpersonnelle ;
  • Le modèle de l’identification sociale : permet aux individus de s’auto-catégoriser avec leurs pairs sur des critères perceptifs et cognitifs, une appréciation se forge alors sur la similitude perçue.

Dans de nombreuses entreprises, la croyance que le groupe s’auto-organisera est forte. Nous connaissons tous des équipes composées de personnes motivées et compétentes dont les performances se sont avérées décevantes.

Certes, la formation d’un groupe repose principalement sur la capacité des membres du groupe à bien s’entendre. L’émergence de l’IC n’apparaîtrait donc que sur la volonté qu’a le groupe de s’organiser en mettant en œuvre des comportements, de manière implicite.

Or, cette forme d’émergence de l’IC rencontre de nombreux freins. Dans une entreprise avec de nombreux acteurs et où les relations sont multiples, l’émergence de l’IC ne peut dépendre uniquement du niveau d’appréciation mutuelle.

En effet, dans le cadre professionnel, les enjeux et attentes individuels peuvent être plus ou moins divergents et voient apparaître des éléments problématiques (p. ex. jeux psychologiques, jeux de pouvoir…).

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Ancrer les principes de la philosophie de l’IC

Afin de limiter les effets défavorables de ces jeux, une étape fondamentale d’ancrage de cette philosophie est obligatoire. Cet ancrage a pour but d’éviter les retours en arrière en agissant sur nos motivations, nos compétences, nos comportements et nos capacités relationnelles.

Pour le développer, il faut mettre en œuvre des approches collaboratives à travers des ateliers collectifs (cohésion d’équipe, séance de créativité, atelier de travail), instaurer des routines et rituels, structurer des réunions et organiser des formations expérientielles. Ces actions appellent à de la facilitation, de la co-construction, de la bienveillance, de la générosité et d’une pédagogie participative.

Par exemple, nous sommes plus engagés lorsque nous sommes encouragés sur nos efforts et non sur notre intelligence. La philosophie de l’Intelligence Collective repose sur un état d’esprit dit en « développement » et non sur un état d’esprit dit « fixe ». En effet, l’état d’esprit peut-être définit par la mentalité, la façon de penser, que possède un individu et il joue un rôle primordial dans la réalisation de nos potentiels respectifs (individuel comme collectif)[8]. Leur état d’esprit permet aux individus et à une équipe de se développer, de considérer l’échec comme une opportunité et d’être ouvert au changement. Cet état d’esprit doit être soutenu par les 5R, comme l’évoque Cécile Dejoux dans ses travaux sur les sources de réussites du travail collaboratif issus du Learning Lab « Human Change » [9]:

  • Rôles : chacun des membres d’un groupe doit avoir un rôle dédié ;
  • Routines : afin de renforcer la cohésion du groupe, des routines doivent être installées ;
  • Règles : des règles permettent d’établir un cadre, d’avoir de l’équité et d’avancer avec efficacité ;
  • Respect : un groupe avec une forte diversité, le respect doit être rappelé pour harmoniser celle-ci ;
  • Reconnaissance : savoir reconnaître l’un des membres du groupe lorsqu’il contribue est la base de l’engagement.

 Rendre une activité collective « intelligente » n’est cependant pas sans risque, car l’IC requiert de savoir, de pouvoir et de vouloir collaborer et non uniquement de coopérer. Il faut donc éviter les aléas comme la paresse sociale, la polarisation collective, le conformisme, etc.

Nous notons souvent une confusion entre les concepts de coopération et de collaboration. Ce sont deux notions liées à l’activité collective, mais qui se distinguent sur plusieurs éléments :

  • L’élément fondamental de cette distinction est que la collaboration ne se décrète pas. C’est une forme d’organisation solidaire où chacun est responsable pour l’ensemble de la tâche. Cela réside principalement des relations de confiance entre les individus et d’un travail important de coordination par ajustement mutuel.
  • La coopération se base quant à elle sur le développement d’une activité collective poursuivant un but commun. C’est donc un acte de création partagée, issu d’un processus complexe formel entre tensions et directions opposées. C’est une forme d’organisation conjointe du travail où chacun des individus est responsable de tâches.

La collaboration s’oppose donc à la coopération sur le plan de la relation entretenue entre les individus (libre vs. obligatoire), sur la responsabilité des actions (partagée vs. déléguée) et sur l’influence sur la prise décision (égalitaire vs. hiérarchique).

La douloureuse injonction du collaboratif

Poussées par la volonté d’horizontalité, les entreprises proposent trop souvent une injonction paradoxale à travers l’avènement du travail collaboratif. On peut observer un management fébrile, un manque de clarté et une dépersonnalisation certaine due à un technocentrisme et à un tout-outillage omniprésent.

Les entreprises mettent en avant trop facilement les méthodes et outils pour le passage d’une organisation actuelle (A) à une organisation cible (B), en oubliant que ce passage de A à B sous-tend également un changement de philosophie pour les individus. Pour les entreprises considérées comme de bons élèves, cela passe par un changement de philosophie et de culture. C’est là que la philosophie de l’IC prend tout son sens ainsi que sa méthodologie associée. En effet, elle se propose d’accompagner l’humain dans le réel de son activité en prenant en compte leur savoir-faire et savoir-être relationnels.

Références

[1] Bobillier-Chaumon, M.-É, Cuvillier, B., Sarnin, P., & Vacherand-Revel, J. (2018). Usage des TIC et évolutions des pratiques socioprofessionnelles des cadres : quels repères pour le métier et quelles incidences sur la santé?. Pratiques Psychologiques.

[2] Imhoff, C. (2017). L’émergence de nouveaux collectifs de travail : ruptures et continuités dans l’histoire de l’entreprise. Management & Avenir, (3), 85-102.

[3] Johnson, K., Moutot, J. M., & Autissier, D. (2018). L’innovation managériale : Design thinking, réseaux apprenants, entreprise libérante, intelligence collective, modes collaboratifs, ateliers participatifs, shadow cabinet, hackathon, junior entrepreneur… Editions Eyrolles.

[4] Westerman, G., Calméjane, C., Bonnet, D., Ferraris, P., & McAfee, A. (2011). Digital Transformation : A roadmap for billion-dollar organizations. MIT Center for Digital Business and Capgemini Consulting, 1, 1–68.

[5] Notion issue des recherches de Falzon (ergonomie)

[6] De l’acronyme américain VUCA (volatility, uncertainty, complexity and ambiguity)

[7] Opposition du concept Capital Humain à la notion de Ressource Humaine

[8] D’après les travaux de la professeure de psychologie Carol Dweck (Stanford)

[9] Chaire d’entreprise créée en 2015 au CNAM

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Mehdi Mani

Consultant, Hardis Group

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Philippe Le Gloahec

Consultant Senior, Hardis Group

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