Avec la mondialisation, les chaînes d’approvisionnement sont de plus en plus sensibles à toutes formes d’aléas. Pour résister, les industriels doivent être en mesure de maîtriser l’ensemble des acteurs de leur supply chain amont et aval, mais également de créer des relations de confiance fortes avec leurs partenaires.

Par Nicolas Gallée, directeur Business Consulting et Florent Boizard, directeur Supply Chain Solutions, Hardis Group

Pilotage de tous les maillons de la supply chain

Véritable « stress test » grandeur nature, la crise sanitaire qu’a traversé le monde au printemps 2020 aura eu pour effet de mettre en lumière la force de certaines chaînes logistiques ou, au contraire, les faiblesses et carences d’autres. Le choc passé, l’heure est au constat. S’il est évident que les paramètres de réussite ou au contraire de difficultés rencontrées sont particulièrement nombreux, la visibilité sur l’ensemble de la supply chain semble l’une des clés principales du succès.

Dans les faits, les acteurs industriels qui ont le mieux su gérer la crise et poursuivre, au moins partiellement, leurs activités, sont ceux dont le pilotage (et donc la maîtrise) de bout en bout de la supply chain était déjà opérationnel : approvisionnements, production, distribution et commercialisation. Et qui ont su être extrêmement réactifs en activant une cellule de crise pour piloter l’ensemble de leur écosystème (amont et aval) et ainsi rendre possible les prises de décisions agiles et pragmatiques.

Car c’est bien en identifiant et en pilotant tous les maillons de la chaîne amont, avec une coordination et une visibilité des fournisseurs sur plusieurs rangs, (jusqu’au plus petit des composants ou la matière première), et tous ceux de la chaîne aval (commercialisation et acheminement du produit fini jusqu’au consommateur), qu’un industriel peut gagner en agilité et en réactivité, et s’assurer de prendre les bonnes décisions en cas de difficulté ou de crise.

L’échange de données, la confiance en plus

La crise sanitaire de 2020 a par ailleurs soulevé les questions, et même jusqu’au grand public, de la gestion des stocks et du mono-sourcing : évidente en théorie, la réponse d’une augmentation des stocks à tous les niveaux de la chaîne d’approvisionnement et du multi-sourcing est en réalité bien trop simpliste. Conçus pour décorréler une offre et une demande, les stocks coûtent cher, tandis qu’il n’est pas toujours possible de s’adresser à plusieurs fournisseurs (la Chine extrait environ 80% et raffine 90% des terres rares, indispensables à la conception de produits électroniques, par exemple).

Toutefois, force est de constater que l’immense majorité des enseignes qui ont dû fermer pendant le confinement n’ont pas su réorganiser rapidement leur distribution e-commerce. Elles ont majoritairement continué à livrer depuis les entrepôts alors que des stocks « dormaient » dans leurs magasins et qu’il aurait été envisageable de préparer les commandes depuis les points de vente pour les mettre à disposition (click and collect) ou les livrer à domicile… Encore fallait-il pouvoir disposer d’une organisation, des processus et des outils ainsi que de la capacité de réactivité pour mettre en place ce type de dispositif dégradé.

Pour à la fois optimiser les productions et les stocks, il est indispensable de disposer d’indicateurs d’aide à la décision : cela passe par la mise en place d’échanges de données bilatéraux entre les différents acteurs de la chaîne logistique ou, dans l’idéal, par une plateforme d’hypervision capable d’agréger les données de l’ensemble de l’écosystème, à condition toutefois que tous les acteurs de la chaîne d’approvisionnement soient disposés à cet échange de données multilatéral (notamment lorsque plusieurs concurrents sont impliqués).

Mais les outils ne se suffisent pas à eux-mêmes. Et les difficultés d’approvisionnement récentes l’ont bien montré : ce qui compte avant tout, c’est de sécuriser la relation avec l’ensemble des acteurs. Soit un engagement par l’industriel d’un certain niveau d’achat auprès de ses fournisseurs, en contrepartie de quoi il obtient une garantie d’affectation de moyens : matières premières, produits semi-finis, transport, etc. De cette façon, il peut travailler en confiance avec l’ensemble de ses partenaires sur sa chaîne d’approvisionnement, et même limiter ses risques sur un approvisionnement mono-sourcé.

L’humain au cœur de l’agilité de la supply chain

Une stratégie d’échanges de données, associée à l’utilisation d’outils adéquats (business intelligence, machine learning…), permet de mieux piloter la supply chain et de gagner en efficacité et en sérénité. En tout cas, en période « normale ». Car lors d’imprévus importants voire de crise, les modèles statistiques (sur lesquels se basent la plupart de ces outils) trouvent leurs limites : une crise financière mondiale, une crise sanitaire, une crise géopolitique ou encore une mutation rapide d’un marché n’ont en effet pas les mêmes origines et ne produisent pas les mêmes conséquences. Ce qui rend particulièrement difficile l’utilisation de modèles pour gérer la crise.

En cas de crise, la robustesse de la supply chain va dépendre de la réactivité et de l’agilité des acteurs qui la composent : la mise en œuvre rapide de cellules de crise quotidiennes est indispensable. A l’aide des données dont elles disposent au jour le jour, elles peuvent prendre les bonnes décisions et les communiquer le plus rapidement possible à l’ensemble des maillons de la chaîne logistique. En bref, en cas de crise, il s’agit de s’appuyer sur l’intelligence humaine et sa capacité à réagir vite et de façon plus pertinente qu’un système (même le plus avancé) aux situations d’urgence.

La crise sanitaire l’aura à nouveau démontré : les acteurs les plus résilients sont ceux qui ont su raccourcir la chaîne de décision et de communication. Ce qui n’est toutefois possible que lorsque la supply chain, en période normale, est parfaitement maîtrisée de bout en bout.

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