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Du pilotage de l’expérience client à la mise en œuvre d’une gouvernance de service

L’une des difficultés récurrentes que rencontrent les organisations pour avancer sur le sujet du service, c’est qu’il est pour le moins diffus dans l’entreprise : la Direction Marketing, la DRH, la DSI ou encore la Direction des Opérations (ou de l’Exploitation) sont autant d’acteurs qui interviennent à un moment donné dans la conception, le lancement, la production, le support… d’une nouvelle offre.

Il en va de même si l’on aborde le sujet du service par l’entrée de la « transformation culturelle » : différents acteurs sont légitimes pour prendre le leadership sur ce sujet et d’autres encore pour y apporter leur contribution…

Ni tout à fait « d’ici », ni vraiment « d’ailleurs », la question du service demeure un Objet Flottant Non Identifié, en ce sens qu’il n’est pas encore un sujet bien balisé dans les organisations.

Dans le texte qui suit, nous tentons d’en analyser les raisons et nous suggérons une voie de sortie.

Le service n’est ni un métier[1], ni une fonction, ni une préoccupation bien établie dans l’entreprise : il est d’abord affaire de… passion

L’une des premières difficultés qui surgit, c’est que le sujet du service n’est pas toujours, et même assez rarement, clairement positionné dans l’entreprise. Selon les cultures et les niveaux de maturité des décideurs sur cette question, la DRH, la Direction Marketing, la Direction de la Relation Client ou la Direction de la Qualité peuvent être légitimes pour s’emparer de ce sujet : il n’a pas naturellement de « nid ».

Voilà donc notre problème N°1 : le service n’est pas le terrain « naturel » d’un acteur particulier, ce qui lui donne certes plus de chances de s’implanter mais ce qui rend aussi plus complexe son implantation durable, précisément parce qu’il n’est pas a priori clairement installé dans telle ou telle partie de l’organisation. Quand il s’agit de lancer un nouvel Intranet, personne ne remet en cause la légitimité de la DSI sur le sujet ; quand il s’agit de parler de culture de service, plusieurs acteurs sont potentiellement pertinents pour l’aborder… Mais dans quel ordre et comment ? Et comment, une fois qu’un leader s’en est emparé, associer et aligner les autres parties prenantes ? Questions trop souvent laissées en jachère à mon sens.

Mais d’abord, de quel « service » parle-t-on ?

Le problème N°2, c’est que le service ce sont en fait – au moins – deux sujets qui se percutent souvent : celui de la culture de service, avec donc un prisme très RH (managérial et comportemental, mais aussi culturel au sens d’une transformation culturelle), et celui de l’offre de services, c’est-à-dire des prestations qui sont délivrées aux clients. D’une certaine manière, on retrouve la vieille distinction entre processus et résultat : la prestation, c’est le résultat, la culture de service c’est plutôt le processus par lequel des clients et des collaborateurs aboutissent ensemble au résultat.

Il est donc essentiel de clarifier le périmètre qui intéresse l’entreprise (le processus et/ou l’output, pour faire simple), en gardant en tête le fait que ces deux manières d’aborder la question du service sont évidemment étroitement liées. En effet, comment réussir le lancement d’une offre innovante sans le concours des équipes ? Comment révolutionner un modèle économique si, en amont, un « substrat culturel » puissant n’a pas été cultivé parmi les équipes de front et de back office ? Mais, inversement, le lancement d’une nouvelle offre peut aussi constituer un puissant levier de transformation, comme nous l’avons déjà dit à propos d’iDTGV par exemple[2] : à travers l’innovation par l’offre, c’est bien à la culture (et non seulement à des clients) que l’on s’intéresse aussi.

Dès lors, il convient de construire une vision stratégique « par paliers » qui donne clairement sa place à la problématique de la culture et à celle de l’offre de service, en veillant à mieux les articuler.

Une solution (provisoire) : un nouveau profil et une nouvelle mission

Pour tenter d’apporter une réponse à ces deux difficultés séminales, le volet organisationnel vient évidemment à l’esprit. Un « Directeur du Service » pourrait ainsi être le garant d’un pilotage coordonné de l’offre et de la culture de service. Rattaché directement au DG (dans l’esprit d’un Secrétaire Général), il aurait ainsi pour mission :

  • De développer la culture de service et de piloter le programme de transformation lié.
  • De préparer et d’animer les Comités de « Gouvernance du Service » (nous y reviendrons en fin de texte), et pour ce faire de tenir à jour les matrices d’arbitrage (maturité des différents services sur le marché, degré d’industrialisation de chacun, impact client…).
  • De veiller à la bonne coordination des acteurs (DRH, DSI, DM…) et d’assurer une médiation en cas de tensions.
  • En lien avec la Direction Marketing, de piloter la R&D et le design des nouveaux services en assurant leur suivi dans le temps (cycle de vie du service).
  • En lien avec la Direction Qualité et la DSI, d’animer le processus d’industrialisation des services : il gère le Catalogue de Services et le processus d’industrialisation.

Ce n’est qu’une première lecture, bien sûr, mais les fondations sont jetées : il s’agit de faire monter en reconnaissance et en exigence la question du service dans les entreprises. Organisée de cette manière, l’entreprise bénéficierait d’un vrai pilotage global de ces sujets et les dirigeants disposeraient d’une vision dynamique de leurs offres là où, aujourd’hui, elles relèvent de pouvoirs éclatés dans l’organisation : la Direction Marketing initie des offres nouvelles et les « pousse », la DRH tente de suivre au niveau de l’évolution des compétences et de la conduite du changement, la Direction des Opérations fait ce qu’elle peut et la DSI… a ses propres logiques ! Back et front se renvoient la balle de la responsabilité de l’échec de tel ou tel service, bref, il n’y a pas de réelle coordination et une vision globale de l’entreprise non plus tournée sur elle-même mais sur ce qu’elle délivre : des services.

Et dans l’avenir ? Vers une nouvelle organisation plus orientée service

C’est déjà parler du futur que de formuler ce qui précède. Pour autant, et si l’on est convaincu que le mal vient d’abord d’une inadéquation organisationnelle et culturelle des entreprises dont les schémas mentaux et organisationnels sont hérités du monde industriel, alors il faudra bien un jour envisager d’autres modalités organisationnelles.

Avec, peut-être, l’architecture qui suit (ce n’est là qu’une hypothèse de travail) :

  • D’un côté, une « Direction du Support aux Equipes » qui engloberait la DSI « interne » (progiciel de gestion, Intranet, logiciels RH…), la communication interne, les services généraux, l’accompagnement au changement et les « services aux équipes » (bien-être au travail, mise en œuvre de la « symétrie des attentions »…). Sa vocation serait de constituer un pool de ressources pour l’ensemble des collaborateurs de façon à faciliter leurs missions.
  • Une Direction des Ressources Financières & de l’Anticipation Economique, qui engloberait le contrôle de gestion et les Achats et qui collaborerait étroitement avec la Direction qui suit sur la dimension « nouveaux modèles économiques ». Elle ne serait pas seulement responsable de la « bonne gestion » mais plus largement co-responsable de l’évolution du modèle économique pour garantir, sur le long terme, la pérennité de l’entreprise du point de vue de ses ressources financières.
  • Une « Direction R&D, Design & Business Innovation » qui travaillerait sur l’amont (veille et conception des nouvelles offres de façon plus rigoureuse), avec une véritable R&D et une réflexion plus poussée sur les nouveaux modèles économiques et le « maquettage » des offres futures (en lien avec la Direction précédente).
  • Enfin, une « Direction de l’Expérience Client » piloterait la DSI « client » (on parlerait plus volontiers de « Direction de la Digitalisation des Services » pour indiquer clairement la dynamique de transformation en cours), la gestion des Supports Physiques (boutiques, agences… s’il y a lieu), la gestion de « la Relation, des Communautés & de la Satisfaction Clients », la communication externe, les opérations et le développement humain (ex-RH),pour maîtriser globalement la « relation » (humaine et technique, à travers tous les leviers), tout au long du parcours, avec les clients. Elle concentrerait de nombreuses compétences mais, ainsi « gouvernées », ces dernières gagneraient en cohérence autour d’une même vision client. Le Directeur de l’Expérience Client animerait un sous-comité de direction composé des directeurs Développement Humain, Satisfaction, Digital, etc. Il serait le garant de la cohésion de l’ensemble et il aurait clairement le statut de DG délégué.

Le mot de la fin : vers une Gouvernance du Service

Ce redécoupage existe déjà ici et là, pour partie, mais cette réflexion mériterait à mon sens d’être véritablement poussée pour amener des idées nouvelles et suggérer ainsi des organisations mieux adaptées au contexte des services et aux enjeux forts de l’adaptation des modèles économiques aux transformations en cours (digitalisation des services, développement des logiques de peer-to-peer, développement des logiques d’usage, etc.).

Bien sûr, tout cela reste théorique et seule une confrontation avec les faits, des redécoupages grandeur nature de périmètres aujourd’hui obsolètes et autocentrés, permettraient de challenger nos organisations actuelles… Qui l’osera en premier ? L’innovation, c’est aussi cela.

Pour finir, il me semble essentiel d’aller sur le terrain de la mise en place de ce que nous nommons, avec Marc Prunier[3], une « gouvernance du service » : je veux dire par là une instance (un « comité » et son processus de travail) qui a pour vocation de réaliser le travail de coordination dont nous avons parlé supra. Préparé et animé par le Directeurs du Service, ce comité permettrait aux entreprises de mieux piloter, en dynamique, leur offre de services et leur programme de transformation culturelle s’il est engagé. De coordonner notamment, donc, le travail qui est réalisé sur l’offre et celui qui se joue au niveau managérial et comportemental (la « culture de service »).

Ce sera sans doute cela, une entreprise véritablement « orientée service » : non plus le calque maladroit d’une organisation désuète issue de l’ère industrielle, mais un premier pas vers un authentique recentrage sur sa vocation servicielle…

[1] Au sens où « acheteur », « contrôleur de gestion » ou « DSI » sont des métiers clairement identifiables.

[2] Cf. l’ouvrage collectif que j’ai coordonné avec Magali Euverte et Hubert Joseph-Antoine, Management du Service et conduite du changement : le cas de la SNCF, Vuibert, 2010.

[3] Marc travaille dans l’équipe de l’Institut ServiCité que j’anime au sein de Grenoble Ecole de Management. Il a notamment la responsabilité pédagogique du BADGE « Ingénierie du Service » que nous avons initié avec BNP Paribas Cardif dans le cadre de la Chaire éponyme.

Benoît Meyronin

Professeur à Grenoble Ecole de Management et Directeur R&D de l’Académie du Service

© Blog http://marketing-des-services.com – Avril 2013

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